Fin de journée dans le monde des morts. Tout semblait si normal, tellement semblable à la vie. Ça faisait penser à la non-vie, ou à une sorte de dérivé de la non-vie. Si les gens, sur Terre, savaient qu'après la mort, il y a la vie, mais ailleurs, que se passerait-il ? Bon sang, ça serait un sacré bordel. Avec tout ce bazar religieux, ces dogmes et ces croyances complètement dépassés, il y aurait pas mal de fanatiques pour pulvériser de la bidoche d'hérétique dans tous les coins. C'était peut-être pour ça que les vivants n'étaient pas au courant. Les morts avaient-ils tacitement choisi de cacher leur nouvelle existence ? C'était très possible. Et puis, s'ils devaient se révéler, ça serait aussi le bordel à la Poste pour faire passer tous les petits courriers.
Et que se serait-il passé pour un type comme Caleb, si Len avait dû le contacter depuis l'outre-monde ? Se serait-il donné la mort ? Aurait-il complètement cessé de vivre pour aimer ce spectre ? C'était un dilemme bien foutraque.

Et puis, les morts pouvaient-ils communiquer avec les vivants ? C'est vrai, quoi, il était là depuis quelques jours, et il n'avait pas vraiment posé la question. En même temps, on ne l'avait pas vraiment briefé. On peut dire qu'il était formé sur le tas ...
Est-ce que les mediums, ou au moins une partie d'entre eux, étaient sincères ? Caleb avait toujours été très perplexe vis-à-vis des voyants, considérant ça comme un folklore païen un peu gitan, qui cherchait à se diffuser comme mode et produit de consommation à l'intérieur d'une société moderne en recherche de spiritualité. Mais, aujourd'hui, il se posait des questions à ce sujet. S'il était clair qu'il y avait une foule de charlatans, qu'en était-il des vrais ? Les voyants se montraient-ils seulement ? S'il avait dû découvrir cet outre-monde, Skyline, se serait-il manifesté, aurait-il fait de la publicité pour son don ?
C'était possible, mais il était loin de s'imaginer jouant les lignes directes avec l'au-delà. Ça pouvait devenir dangereux ...


* En fait, la vie, la mort, c'est quand même un sacré foutoir. Je crois que c'est trop compliqué pour un flic achevant une bonne journée de travail. *

Ouais, c'était peut-être mieux de ne pas trop se prendre la tête. Il n'arrêtait pas de se poser des questions depuis quelques jours, et ça menaçait de lui faire sauter la cervelle. Après avoir mangé et s'être douché, il aspirait surtout à une bonne nuit de sommeil. Il avait fini tard aujourd'hui, et il commençait le service aux aurores demain. Il risquait d'avoir besoin d'un bon café bien serré, et, par chance, il avait repéré un café sur son trajet du matin. Leur café était peut-être aussi bon qu'ils le prétendaient ?
Son appartement était encore en bordel, avec des cartons un peu partout. Il avait rapidement commandé l'essentiel, mais n'avait pas eu le temps de s'installer. Il avait mis son uniforme du jour dans la machine à laver, et en avait pris un propre, suspendu à la tringle d'un rideau d'ici à ce qu'il monte son armoire. Il le déposa sur un fauteuil, dans le salon, et alla boire un verre d'eau en se calmant. Il regarda un moment autour de lui. Sa petite maison de ville était fort sympathique, mais il avait du mal à s'y sentir à sa place. Il avait toujours l'impression de rater quelque chose dans le monde des vivants. Plus que tout, il pensait à Will ; William Jasper. Un petit con d'Anglais foutrement sympathique, qui avait été plus encore qu'un frère pour lui pendant ses deux dernières années de vie. Comment s'en tirait-il, lui ? Ils avaient été inséparables pendant deux ans, et, il fallait le dire, Caleb était sans doute le seul ami qu'il s'était fait en Écosse. Will ne parlait pas souvent de sa famille, ce qui pouvait vouloir dire qu'il s'était embrouillé avec. Ça expliquerait pourquoi il était parti à l'autre bout de l'île.

Putain, il valait mieux pour lui qu'il ne se mette pas à faire des conneries !

Pensées mauvaises. Il fallait les éloigner, mais rien n'y faisait. Soupirant, le jeune policier se balada, sa serviette de bain nouée autour de la taille, et essaya de se calmer. Le meilleur moyen qu'il trouva fut encore d'aller se glisser dans son lit. Retirant sa serviette, il se glissa sous sa couette, et se mit à fixer le plafond, en cherchant à compter des moutons imaginaires sautant une barrière dont on supposait qu'elle ne leur ferait pas mal s'ils rataient leur saut. Il fallait être tordu, pour vouloir du mal à un mouton.
Mais tout ce qui restait, c'était le souvenir de Will. Il fallait absolument qu'il sache comment ça se passait. A défaut, il aurait tant aimé pouvoir lui faire passer un message lui disant que tout allait bien. Bien sûr, ça lui paraîtrait carrément bizarre, mais il ne voyait pas d'autre solution pour se calmer. La pensée était devenue obsession. L'obsession était tellement forte, le stress tel, que ce qui suivit devait bien arriver ; mais, pour quelqu'un comme Caleb qui n'avait aucune expérience de la mort, ça allait être un choc.

Il sentit soudain une présence, alors même qu'il avait fermé les yeux en espérant que son corps se décide à s'endormir en laissant sa tête penser toute seule. C'était une sensation profonde, comme si la personne qui venait d'arriver était là pour lui. D'un bond, il se redressa et alluma sa lampe de chevet, pour découvrir une jeune femme plantée au pied de son lit. S'il avait été vivant, il aurait pu parler de fantôme. Comment appelait-on un fantôme vivant au monde des morts ........... ? Encore une question à la con, tiens !
La seule réaction de Caleb fut de pousser un cri et de ramener la couette sur lui, plus sur le coup de la surprise et de l'incompréhension que par pudeur, même s'il y en avait un peu dans le fond. Les yeux ronds, il cherchait une explication à la présence de cette personne, ici. Il ne comprenait pas ce qui venait de se passer. La voix tremblante et un peu trop forte, il pointa un doigt vers elle.


« Non mais vous êtes qui, vous ? Et qu'est-ce que vous faîtes chez moi ? »

Il n'y avait rien, dans son esprit, qui puisse expliquer cela. A moins l'idée, qui l'effleura, qu'il pouvait peut-être contacter des mediums en le voulant très fort. Alors, c'est comme ça que ça se passait ... ?

Aujourd'hui avait été une journée d'un ordinaire... à en mourir ! Sarah sourit en pensant à cela. Elle se trouvait alors dans sa cuisine à préparer des pâtes pour diner... Rien de bien folichon encore ! De toute sa journée le truc le plus extraordinaire qui soit arrivé est qu'elle réussi à avoir, pour une fois, le sandwich qu'elle voulait à la cafétéria de l'hôpital ! Il faut dire que c'était le meilleur et qu'il partait aussi vite que si il était gratuit. Alors bien sur quand elle sortait de son sous-sol pour déjeuner ils étaient tous partis... Chienne de vie parfois tiens ! Enfin ! Elle était donc la debout dans sa cuisine à cuire des pâtes, qu'elle mangea devant la télé. Devant un TV show des plus ennuyeux et des plus stupides qu'elle ait vu ! Une fois son repas fini, la vaisselle faite et la télé éteinte, elle se retrouva assise dans son canapé à se demander ce qu'elle allait bien pouvoir faire... Dormir ? Trop tôt ! Lire ? Elle n'avait plus rien à lire sous la main. Peut être qu'elle pourrait alors tenter une de ses petites expériences ??? Oui parce que quand Sarah s’ennuie elle essaie de nouveaux trucs, et depuis quelques temps une idée lui trottait dans l'esprit : si elle allait au Skyline dans un endroit qu'elle n'avait jamais vu, est-ce qu'elle pourrait y arriver la-bas saine et sauve ? Ou alors... Peut être qu'elle se retrouverai dans un mur... Coincée dans un mur dans le royaume des morts !!! Alors la c'était vraiment trop bizarre ! Mais quel endroit choisir ? Elle devait ne pas le connaitre... Oh mais oui ! Y'avait une maison à vendre qu'elle avait remarqué en passant devant une fois... Elle était pas mal comme baraque ! Elle ne savait pas comment la maison était aménagée, et puis personne n'y habitait ! Enfin au dernière nouvelle...

Sarah ferma les yeux et pensa à cette maison et la... Elle se retrouva dans la chambre à coucher. Il y faisait noir. Normal en même temps ! La maison était vide. La brune espérait que l'électricité marchait sinon elle allait devoir sortir de la dans le noir. Super ! Elle entendit alors remuer, et une lumière s'alluma. Dans le lit se trouvait un homme, qui, en la voyant, poussa un cri. Et m*rde !

Hum... Que pouvait-elle bien dire ? Désolé ! Ah ouais ça c'était bien dit ! Franchement la Sarah se trouvait bien gênée ! La prochaine fois elle se fichera une bonne claque avant de retenter une idiotie pareille !

Il fallait dire que, venant d'un cambrioleur ou un pervers, ce n'était pas vraiment le genre de réponse à laquelle il se serait attendu. Désolée ? Elle en avait l'air. D'ailleurs, lorsque Caleb la détailla pour déterminer si elle représentait un danger ou pas, il se mit à douter qu'elle fusse bien entrée ici avec de mauvaises pensées, et commença à accorder davantage de crédit à la thèse du médium-fantôme-vivant-au-pays-des-morts.
Le policier se détendit à mesure qu'il s'apercevait qu'elle ne semblait porter ni arme, ni rien de dangereux. En fait, elle était juste apparue ici, en tenue décontractée. Est-ce que c'était vraiment lui qui l'avait appelé ici, ou est-ce que c'était un pur hasard ? Peut-être était-ce un peu des deux ? Caleb se souvenait d'un sans-abri hippie, un jour, qui lui avait raconté qu'en croyant très fort à quelque chose, on le créait petit à petit. Le flic avait eu envie de rire et de lui dire que ça n'avait pas eu l'air de marcher pour lui ; ou bien peut-être était-ce ce qu'il voulait ? Caleb, lui, savait qu'il n'avait jamais voulu aller en prison, perdre ses plus belles années, et perdre celle qu'il aime. Mais, après tout, ça l'avait peut-être forgé pour ... sa mort ?


* Bon, elle n'a pas l'air dangereuse, mais qu'est-ce que je vais dire, moi ? *

C'est qu'il avait un peu peur de passer pour un fou. Bon, d'accord, il était mort, et vivant, dans un monde plein de morts, semblable à celui des vivants, mais pas pour les vivants. Ça paraissait déjà assez dingue comme ça, dans le fond.


« Vous ... pourriez vous retourner, le temps que j'enfile quelque chose ? »

Finit-il par demander, gentiment, commençant à envisager l'idée de sortir de son lit. Mine de rien, après ce genre d'apparition, la nuit risquait d'être beaucoup plus courte encore que prévu ...

Il attendit tranquillement qu'elle se retourne, et puis sortit lentement de sous sa couette, pour aller attraper la serviette qu'il avait quitté il y a peu, et la remettre autour de la taille. Alors qu'il se rhabillait un minimum ~ si on pouvait appeler ça s'habiller ~, elle avait sans doute pu voir, depuis où elle était, l'uniforme de policier qui reposait sur le fauteuil dans la pièce à côté. En espérant que cela n'angoisse pas la demoiselle, Caleb essaya de rester le plus correct et le plus tranquille possible quand il reprit la parole.


« Merci, c'est mieux. Excusez-moi, je vais vous paraître un peu brusque, mais ... Vous êtes qui, au juste ? »

Sarah se trouvait donc la, dans une maison inconnue, avec un homme qu'elle n'avait jamais vu . Le moins que l'on puisse dire c'est que c'était une situation embarrassante, et elle continua à l'être quand l'individu lui demanda de se retourner pour s'habiller, ce qu'elle fit bien sur. Pendant qu'il enfilait quelque chose elle détailla ce qu'elle pouvait voir de la pièce. Quelques meubles, des cartons... Il devait avoir emménagé il y a peu. La brune en avait de la chance ! Elle qui croyait que la maison était vide... Et puis son regard fut attiré par l'uniforme sur un fauteuil... Le gars était policier !

Et ben on dirait que j'ai tiré le gros lot ! J'espère au moins qu'il ne va pas m'embarquer pour être entrée chez lui...

Rien que l'idée ne lui plaisait pas ! Jamais elle n'avait eu d'ennuis avec les forces de l'ordre. Et voila qu'elle pouvait bien se faire arrêter dans le monde des morts pour avoir tenté une misérable tentative !
Quand il eu fini elle se retourna et pu voir l'homme debout devant elle, vêtu seulement avec une serviette de bain autour de la taille... Elle se sentit encore moins a son aise dans la pièce. Je m'appelle Sarah. Je suis vraiment désolé de vous avoir dérangé je croyais que la maison était vide ! essaya-t-elle d'expliquer... Peut être devrait-elle rentrer chez elle comme ca sans plus d'explication et oublier cet incident ? Mouais... Mais si ce gars-la était flic, il allait essayer de la retrouver et la... Qui sait ce qui se passera ?

L'homme ne broncha pas tandis que Sarah ~ c'était donc son nom ~ se présentait et s'excusait. Il n'y avait aucun doute à avoir quant à sa sincérité, elle ne simulait pas la gêne. L’Écossais posa les mains sur les hanches et souffla.


« N'empêche que vous m'avez flanqué une de ces frousses ... Venez, sortons de la chambre. Vous voulez quelque chose à boire ? »

Tandis qu'il parlait avec calme et une pointe de gentillesse, il s'avançait vers Sarah. Levant sa main gauche, il la poussa doucement vers la sortie, sans y mettre de force, juste pour lui faire comprendre que ce n'était pas tant une proposition qu'une exigence. Elle était peut-être embêtée d'avoir été prise, il n'en restait pas moins qu'elle avait fait irruption dans sa chambre en pleine nuit, alors qu'il n'était pas dans la situation la plus plaisante au monde ; s'il ne pouvait lui en vouloir, il ne souhaitait quand même pas la voir trainer dans cette pièce.
Il la conduisit à travers le séjour jusque dans la cuisine. La maison n'était pas toute jeune et, comme beaucoup de maisons à l'époque, en raison d'un concept né en zones inondables, les pièces à vivre se trouvaient à l'étage, le rez-de-chaussée étant une succession de pièces de rangement et de placards, facilement convertibles en chambres cela dit.


« Mais comme vous pouvez le constater, le plancher grince ; j'aurais dû vous entendre. Comment vous y êtes-vous prise pour être aussi discrète ? »

Ne souhaitant pas dévoiler sa théorie farfelue au risque d'être pris pour un fou, il laissait à Sarah le choix de s'expliquer. Après tout, peut-être avait-il tort ?

L'homme qu'elle avait en face d'elle n'avait pas l'air menaçant, ni même près à l'embarquer au commissariat. Au lieu de ça, il fit comme si il l'avait invité chez lui... Malgré cela, Sarah se sentait encore légèrement gênée...

Non merci, mais je n'ai pas soif ! lui répondit-elle alors qu'il l'emmenait dans la cuisine. On pouvait y voir encore des cartons. L'homme devait avoir emménagé il y a peu. En passant dans le séjour, et encore dans la cuisine, elle jetait discrètement des coups d'oeil afin d'en savoir un peu plus sur l'individu, mais ou qu'elle regardait, elle ne vit rien qui ne pouvait la renseigner un minimum, sauf l'uniforme.
C'est alors que vint la question fâcheuse : comment elle était entrée ! Le plancher grinçant elle n'aurait pu passer par le même chemin, elle allait donc lui dire comment elle était vraiment arrivé jusqu'ici.En fait je ne suis pas passé par ici... Je suis arrivée directement dans la chambre... Peut être quand y allant progressivement la vérité passerait plus facilement... Le dire d'emblée allait peut être la faire passer pour une folle, et la ce n'est pas au commissariat qu'elle se retrouverait mais à l'hôpital psychiatrique !

Apparemment, la demoiselle n'avait pas soif. Qu'à cela ne tienne, lui avait eu une belle frayeur et, s'il ne s'était pas fait dessus, il avait quand même une grosse envie de se réhydrater. Arrivés dans la cuisine, et après avoir marmonné pour signaler qu'il avait compris, il fila vers l'évier, récupéra un verre propre qui séchait encore, et le remplir au robinet avant de boire tout le contenu d'une traite. Soigneux, il repassa un filet d'eau sur le verre et le remit à sécher. Puis il se retourna vers Sarah. Maintenant qu'ils étaient sortis de la chambre sommes toutes très sombre, la lumière de la rue offrait une meilleure visibilité. Et là, l’Écossais notait qu'elle avait carrément l'air à la maison, vu sa tenue. S'il l'avait trouvée comme ça dans son salon en rentrant, il aurait pris ça pour une méprise un peu forte, ou bien comme l’œuvre d'une fille un peu déséquilibrée tentant une séduction franchement limite.
Mais bon, il savait bien qu'elle n'était dans aucun de ces deux cas-là. Il lui avait lancé sa question, et il y avait eu quand même un petit laps de temps pendant lequel elle sembla hésiter. Mais elle finit par répondre, et, outre le fait qu'elle transpirait parfaitement la sincérité de tous les pores de sa peau à cet instant, ce qu'elle disait rejoignait l'idée franchement farfelue que Caleb avait eu un instant plus tôt.


« Waw ... »

Ce fut sa seule réaction, après une poignée de secondes de silence, pendant laquelle il l'avait fixé, et avait accusé le coup, les yeux ronds. Là, la fameuse Sarah devait se demander s'il n'allait pas appeler le centre de soins psychiatriques le plus proche pour savoir si une patiente ne s'était pas échappée pendant la nuit. Mais elle ne s'attendait probablement pas à ce que l'homme, qui fixait ses orteils et, appuyé au plan de travail, semblait les agiter dans l'espoir d'y voir quelque chose de divertissant, se demandât de quelle manière réagir.
Il se dit qu'après tout, si elle disait bien la vérité ~ et elle n'avait fait que se montrer sincère depuis quelques minutes ~ , il était de son devoir de jouer franc jeu.


« Vous savez, il y a une semaine, j'aurais juré qu'il n'y avait rien après la mort. Et puis je me suis retrouvé ... ici. En tout cas, vous n'avez pas l'air d'être morte, parce qu'on décide où on va en arrivant, pour autant que je le sache. »

Si elle n'avait aucune connaissance de ce qui devait être son don, elle le prendrait surement comme un cinglé. L'idée de se téléporter était déjà farfelue, mais l'idée de se téléporter n'importe où dans l'après-vie des morts ... !! Malgré tout, Caleb se dit qu'elle ne devait pas en être à son coup d'essai ; elle aurait eu l'air plus paumée que ça, sinon. C'était peut-être un coup du sort qu'il rencontre une medium aujourd'hui, alors même qu'il pensait à entrer en contact avec Will ... ? Il choisit de continuer, et de faire connaissance avec cette visiteuse impromptue, mais dont la venue pourrait être riche en réponses et en opportunités. Vu d'ici, qui plus est, maintenant qu'elle était dans la clarté diffuse de la fenêtre, elle semblait très jolie ; il prendrait ça comme un extra qui rendait ce réveil quelque peu bousculant, et au début désagréable, moins dommageable.
S'approchant d'elle, il tendit une main ferme et assurée. Il ne s'était pas encore présenté, et il comptait réparer ce manque de politesse.


« Je suis enchanté, Sarah. Je m'appelle Caleb. »

Pendant que l'homme se désaltérai, elle le regarda faire. Elle se sentait assez mal à l'aise mais essayait de ne rien en montrer. Les bras croisés sur sa poitrine, elle se demandait ce qu'il allait faire d'elle. Il ne savait pas quoi répondre à ce qu'elle avait dit. Il ne la regardait même pas ! D'habitude les gens la dévisageait pour déceler un indice de sa folie. Mais lui semblait un peu perdu par ce qui arrivait.

Seulement une semaine... A quelques jours près elle se serait retrouvé dans une maison vide...Je n'ai pas l'air morte parce que je ne le suit pas... Allez ! Fallait se lancer et ne pas tourner autour du pot. Je suis une médium. Et je peux passer d'un monde à l'autre avec beaucoup de facilité. La elle ne pouvait pas être plus clair ! Elle guetta sa réaction.

L'homme lui tendit la main, et se présenta sous le nom de Caleb. Elle prit sa main et la serra. Enchantée de vous rencontrer même si c'est dans cette, gênante, situation. dit-elle avec un sourire timide. A ce moment la, il ne semblait pas menaçant d'une quelconque façon.

Bon ... Tout semblait dit. Le policier et la voyante s'étaient serrés la main et avaient fini par connaître l'essentiel l'un sur l'autre assez vite, et, contre toute attente raisonnable, tout se passait pour le mieux. Il fallait dire que Caleb était encore moins raisonnable qu'avant depuis sa mort.
Sarah tentait de s'excuser indirectement tout en répondant à la présentation, mais l’Écossais secoua la tête en signe d'apaisement et répondit avec légèreté.


« Allons, vous ne pouviez pas savoir. Et puis, vous auriez pu tomber sur un psychopathe, une hystérique, ou je ne sais quel genre de phénomène. C'est pas mieux de tomber sur un flic écossais ouvert d'esprit ? »

En prononçant ces derniers mots, il esquissa un large sourire convivial et mutin, le premier vrai sourire depuis qu'il s'était levé. Il fallait dire qu'il se sentait presque bien réveillé à présent. Il vida son verre d'eau et le posa dans l'évier d'un geste léger, sans faire de bruit, comme s'il ne souhaitait pas causer d'interférence dans cette communication d'un genre un peu particulier.
En tout cas, observait-il, il lui avait serré la main, ce qui voulait dire qu'elle pouvait être blessée, interagir avec les choses, avoir des rapports sexuels dans l'outre-monde, et caetera. Il se demanda combien de mediums dans le genre étaient présents à Skyline, menant une double-vie, peut-être à l'insu d'un conjoint, sans le révéler, peut-être, même, aux décédés qu'ils côtoyaient. Était-ce le cas de Sarah ? Il était curieux, il se posait la question, mais il respectait assez cette jeune femme qui avait été franche avec lui pour ne pas lui demander de détails aussi personnels sur sa vie privée.
Alors, se raclant la gorge et prenant un air grave, un peu hésitant, il décida de passer à ce qui lui trottait subitement en tête.


« Vous allez trouver ça fou, mais vous avez débarqué alors que je pensais justement à un ami, encore en vie à ce que je crois. Enfin, c'était plus qu'un ami, c'était un frère, sinon plus encore pour moi. Je suis mort de manière assez violente et sous ses yeux, et j'ai senti la peur de l'abandon dans ses yeux, la culpabilité, aussi, de ne pas m'avoir sauvé. Je me demandais si ... Enfin, est-ce qu'il vous arrive de passer des messages de morts à vivants ? Est-ce que c'est autorisé ? »

Cette situation semblait un peu surréaliste à Sarah, mais ce qui l'intriguait encore plus, c'était que lui avait l'air aussi à l'aise. Une inconnue était apparu de nulle part et il faisait comme si c'était lui qui l'avait invitée à entrer. Elle aurait compris si il avait pété les plombs, mais non... Au fond, c'était mieux ainsi ! Au moins elle n'avait pas une crise à gérer.
Vous avez raison ! Ça aurait pu être pire ! Mais ça m'apprendra à arriver n'importe où. Maintenant ça ne se reproduira plus.
Elle mis alors ses mains dans ses poches et le regarda droit dans les yeux. Elle en savait encore un peu plus sur lui. Elle savait qu'il était flic, et maintenant écossais. Bon, c'est vrai, ça ne lui servait pas à grand chose de savoir ça mais c'était mieux que rien !

Alors qu'elle commença à le trouver sympathique, il aborda une question qui fâche. Enfin c'était le genre de chose que Sarah évitait de faire : passer des messages des morts aux vivants. Ca la mettait dans une situation assez inconfortable. D'un coté il y avait un gars comme Caleb, qui se sentait fautif de vivre ici en abandonnant les siens, et de l'autre, les personnes dont la tristesse n'avait d'égale, et qui avaient besoin de réconfort.
Euh... Je ne peux faire ce genre de choses... Je suis désolé, je sais que c'est dur, mais je ne peux vraiment pas. lui répondit-elle poliment mais fermement pour qu'il comprenne.

En entendant la réponse de la jeune femme, le policier perdit son sourire. Oh, bien sûr, il y était allé au culot, et il s'attendait un peu à une réponse négative, mais cela le décevait. Après tout, il avait bien le droit d'être un peu déçu, même si ça ne changerait rien. En tout cas, son regard n'eut rien d'hostile envers la demoiselle qui se tenait face à lui. C'était plus de l'inquiétude, de la douleur.
En effet, si elle ne prévenait pas Will, Caleb s'attendait à ce qu'il risque de poursuivre son assassin. Il craignait que le jeune flic tombe dans l'illégalité en son nom, et qu'il fasse l'erreur, destructrice pour l'âme, de tuer un homme ; qui le méritait d'un certain point de vue, certes, mais dont la mort ne changerait rien ; encore moins en ayant connaissance de l'existence de Skyline. Will était trop bien pour finir en prison, ou en cavale dans un pays sans pacte d'extradition. C'était vraiment la merde, comme disent les jeunes.


« Je comprends. J'ai aussi pensé aux conséquences. Vous avez sûrement plus d'expérience que moi en la matière. Ça ne me réjouit pas, mais je ne vous en veut pas. »

Vidant son verre d'eau, il le posa dans l'évier, et soupira. Il semblait abattu, touché au plus profond de lui-même, parce que Will était quelque part en train de penser à la vengeance, et lui ne pouvait rien faire pour le guider. Ce petit gars avait tant compté sur lui que Caleb se demandait s'il saurait prendre la bonne décision et rester dans les clous. Rien n'était moins sûr, en effet.


« J'aimerais savoir, alors : vos voyages ici, c'est quoi, c'est de la curiosité malsaine ? »

En effet, Sarah avait surement plus d'expérience que lui ! Au début il lui était arrivé de faire cette erreur, en désobéissant bien sur à sa mère qui l'avait mise en garde. Mais Sarah n'en faisait qu'à sa tête et voulait se rendre intéressante auprès de ses camarades de classe. Résultat des courses, personne ne l'avait cru, elle était passée pour une folle, voire une sorcière, elle n'avait plus d'amis et elle était devenu en à peine quelques jours la risée de tout le collège ! Bien sur aujourd'hui c'était différent... L'homme à qui elle parlerait était un adulte mais cela n’empêchait pas qu'il pourrait la traiter de folle. En plus, c'était un flic ! Elle finirait surement à l'asile si elle faisait ça...
Je suis désolé. Elle s'excusa une fois encore, car elle voyait bien que ce n'était pas la réponse que Caleb espérait ! Vous savez je pourrais avoir des problèmes si je faisais un truc de ce genre. Elle voulait vraiment qu'il comprenne son point de vue. Si elle était sure que ça n'affecterait pas sa vie, elle irait volontiers passé le mot. Mais personne ne savait comment la personne réagirait, même quelqu'un qui le connait très bien...

Sa remarque suivante pris Sarah au dépourvu. Elle ne s'étais jamais posé cette question : pourquoi allais-t-elle au Skyline... ? Depuis quelques temps déjà elle n'allait plus beaucoup voir sa mère. Elles gardaient contact mais tout les "voyages" de Sarah n'avait pas pour but de prendre de ses nouvelles...
Ce n'est pas vraiment de la curiosité malsaine... Enfin je ne crois pas ! Il est vrai que je viens ici souvent. Je rends visite à ma mère et à quelques amies.... Sinon... Je ne sais pas vraiment pourquoi. J'aime être ici !

Caleb comprenait la décision de la jeune femme ; elle n'avait pas besoin de se justifier. Elle l'avait fait malgré tout, et il appréciait le geste. Si elle craignait des problèmes (et le policier ignorait jusqu'où un Will sur la brèche pourrait aller), alors il ne pouvait pas la forcer à y aller quand même. Il n'avait pas d'autre choix que de la soutenir. Il n'en était pas heureux, certes, mais il comprenait, et il choisissait de se soumettre à sa décision.

Ils avaient, de toute façon, changé de sujet. La jeune femme n'avait pas l'air vraiment sûre d'elle quant à sa réponse, et elle ne semblait pas y avoir déjà réfléchi. Le jeune homme lui sourit et parla avec une voix amicale.


« Je ne vous juge pas, mais je trouve que c'est un peu comme les mondes virtuels, un monde parallèle d'où on peut sortir au premier problème. Le monde des vivants vous manquera assez lorsque vous le quitterez, alors j'espère juste que vous n'allez pas passer votre vie à gaspiller toutes les nouveautés que vous apporterait la mort. Vous êtes une privilégiée : vous savez ce qu'il y a après la mort, vous êtes prête, vous pouvez venir voir les défunts disparus ... Mais là, c'était juste de la curiosité, un jeu, et vous ne devriez pas trop jouer avec ça. »

Malgré la portée des mots, l’Écossais souriait à Sarah et restait amical. Il était simplement là pour aider, quitte à devoir fâcher. Il rajouta, avec une pointe d'humour dans la voix :


« En tout cas, si jamais vous n'avez rien à faire un soir, rien ne vous empêche de passer ici ; mais, s'il-vous-plait, ce coup-ci, utilisez la sonnette. »

Dans un sens, Caleb n'avait pas tort... Venir ici c'était perdre du temps dans le monde des vivants, et aussi manqué des opportunités. Sarah en était consciente mais elle ne pouvait se faire à l'idée de ne plus venir au Skyline.
Je comprends ce que vous dites. Il est vrai que passé du temps dans le monde des morts c'est un peu se coupé du monde des vivants mais... Je n'ai pas beaucoup d'amis de l'autre coté, et le peu que j'ai je doit leur mentir, caché une partie de moi. Et c'est pareil quand je sors avec un homme ! Bien sur je suis privilégiée de savoir que quand nous mourrons nous avons une autre vie, mais ce privilège va avec beaucoup d'inconvénients.
En y réfléchissant bien, c'était ici que Sarah se sentait le mieux, puisqu'elle n'avait pas besoin de mentir ! Elle disait qu'elle était médium et puis voila ! Personne ne la traitait de folle ou de sorcière !
Mais bon je ne désespère pas quant à ma vie vivante ! dit-elle avec un sourire ! Car Caleb était resté tout de même courtois et souriant avec elle, elle n'allais pas se mettre en colère, même si cela était arrivé avec son père...
Sarah éclata de rire avant de lui répondre : Promis la prochaine fois je passe par la porte !

Catalogue de souvenirs difficiles, Caleb l'écouta attentivement parler de sa solitude là-bas, chez les vivants. Il comprenait son désir de venir ici pour trouver un milieu qui l'acceptait globalement tel qu'elle était, et n'allait pas la prendre pour une folle. Il n'avait pas pensé à tout ce que pouvait impliquer le fait d'être un medium dans la vie de tous les jours. En effet, elle devait sûrement trouver que tout était très facile, ici. Elle n'avait ni à se cacher, ni à se battre pour être acceptée. Pourtant, c'était bien là tout le drame : elle avait une porte de sortie, une échappatoire toute trouvée, toute simple à emprunter, une chose que n'avaient pas les autres. Alors elle ne combattait pas, elle se contentait de ne pas vivre et de s'évader dans ses songes. Au moins, elle n'avait pas l'air de se laisser aller ; mais il y avait un vrai danger. Il craignait de la voir se déconnecter complètement.
Il n'arrivait guère à comprendre cette implication qu'il se découvrait en elle. Peut-être que la façon dont elle fuyait provoquait comme un écho dangereux dans l'âme du policier. Lui avait combattu encore et encore, toute sa vie, et, aujourd'hui, on pouvait dire qu'il était plutôt bien dans ses baskets, même si rien n'était facile.
Il choisit d'essayer de la motiver. Alors, lorsqu'elle eut fini et qu'il eut ri sympathiquement à sa promesse, il s'humecta les lèvres et choisit d'y aller franchement.


« Je comprends les difficultés qui vous poussent à fuir, mais, vous savez, beaucoup de gens n'ont pas cette échappatoire, et ne s'en tirent pas si mal malgré de grosses difficultés. Vous n'êtes pas trop timide, et vous êtes vraiment très jolie. Peut-être que si vous vous montriez telle que vous êtes, sans rien cacher, vous trouveriez enfin un équilibre. Beaucoup vous prendraient pour une illuminée, oui, mais vous verriez bien vite que beaucoup de monde se moque un peu de la voyance et des voyants, et ne se braque pas à l'évocation de ce sujet. Vous verriez même que plus de gens qu'on ne le pense s'y intéresse, partout, dans tous les milieux. Des gens normaux. Vous pourriez vous épanouir là-bas et arriver ici en tant que femme accomplie et heureuse. Vous savez que quand vous mourrez, ce que vous avez laissé en suspens dans la vie vous suivra dans l'Au-Delà ... »