fb ; tendre la main et rencontrer la sécurité
« anna & helen »

2012 ; février.



La porte grinça un instant et la lumière jaillit illuminant son visage. Les étagères restaient désespérément vides. Voilà bien une demi-heure que la jeune femme cherchait à remplir son réfrigérateur par la simple volonté d'elle ne savait trop qui. Mais rien n'y faisait. Après quatre ouvertures de l'engin, toujours aucun produit miraculeusement apparu. Un grognement et une grimace dépourvu de bonne volonté, elle se résolut à sortir aujourd'hui encore. Pourtant, elle était de congé aujourd'hui et aurait préféré faire son ménage, trier ses papiers ou même simplement se reposer … son ventre ne lui laissa aucun répit. Un nouveau grognement et la jeune femme jeta un regard mauvais à la source du bruit. On n'avait pas idée d'avoir faim à plus de quatorze heures ! De mauvaise grâce, elle enfila vite un pardessus et ouvrit la porte d'entrée laissant l'air froid claquer à son visage comme le ferait une bonne gifle. Elle remonta le col de son habit, chercha rapidement une écharpe au porte manteau, prit son sac et sortit enfin. Un tour de clé, elle était prête à affronter le froid encore mordant à cette époque de l'année. Et dire que sa voiture l'avait lâché en plein mois de février ! Elle s'en souviendrait, ce véhicule aura sa punition … pas de balade jusqu'à ce qu'elle ronronne comme avant … pitoyable. Elle allait se venger d'une voiture mais enfin, on trouvait les occupations là on pouvait.

La marche lui permit de ne pas ressentir trop le froid. Son écharpe couvrait les trois quart de son visage et son manteau la protégeait grandement du vent du nord. Helen était équipée pour l'hiver. Retenant un frisson, elle ralentit un instant pour observer les environs. Elle avait l'impression d'être seule en ville … Il était pourtant une heure décente et à ce moment de la journée, les gens sortaient souvent mais il fallait croire que le froid en avait rebuté plus d'un. Courageuse, elle avait la sensation de l'être à l'instant … enfin, dans la mesure où son ventre ne lui laissait aucune répit. Un nouveau grognement atteignit ses oreilles. Décidément, son estomac avait plus faim qu'elle ! Un sifflement mécontent, la jeune femme rejoignit rapidement le métro. Il saurait sans doute la protéger d'un rhume. A rester dans ce froid, elle finirait par attraper une bonne grippe. Peu volontaire à offrir à madame bactérie une place dans son organisme, elle s'engouffra rapidement sur le quai. Toujours personne. Elle aurait bien aimé un peu de compagnie pour le coup. Dans quelques jours viendrait la soirée organisée par ses patrons pour la Saint Valentin et bien qu'un peu tardive, la fête promettait d'être réussie. Au moins aurait-elle de quoi converser ce jour là … si elle avait su … Helen aurait sans doute été moins impatiente d'arriver à cette échéance au fameux tremblement de terre mais, présentement, elle ne connaissait rien de cet événement funeste et se contentait d'attendre le train souterrain qui la conduirait au supermarché faire rapidement quelques courses pouvant garnir son réfrigérateur et contenter son ventre.

Aussi subitement qu'apparu le transport et qu'il s'arrêta à sa hauteur, une jeune personne, une jeune fille, une enfant surgit d'elle ne savait trop où. Peut-être était-elle déjà là d'ailleurs mais Helen ne l'avait vu en aucun cas. La jeune femme s'étonna de sa présence mais encore plus du fait qu'elle ne soit pas accompagnée. La brune tourna la tête, cherchant la trace d'un parent ou de qui que ce soit qui aurait pu épauler la jeune fille. Celle-ci lui rappela Jade dont elle n'avait toujours aucune nouvelle. Helen refusait de s'inquiéter et de trop empiéter dans sa vie mais appréhendait d'apprendre un jour que l'étudiante avait disparu. Enfin, là n'était pas la question. La jeune fille à l'autre bout du quai paraissait plus jeune et excellemment perdue. Helen s'avança vers elle doucement ne voulant pas lui faire peur ou quoique ce soit. Elle en avait oublié le métro qui était reparti depuis une bonne minute sans sa passagère.

HELEN ▬ Excuse-moi ? Tu es seule ici ?

La petite Anna errait dans les rues vides en ce février glacial. Cet endroit désertique lui rappela le jour de son décès, personne à l'horizon et la tranquillité la plus totale. La blondinette marchai lentement, comme si le froid l'empêchait à chaque pas d'aller un peu plus vite. Elle n'était pas ce genre d'adolescent gothiques qui aiment tout ce qui est glauque mais Anna était bien contente de rencontrer la mort. Mais, ce jour-ci ça l'amusait moins de rester dans ce froid, de s'ennuyer comme pas possible. Comme avant, seule et "abandonnée"; seule et sans ses amis. Seule à se murer dans le silence et à regarder le temps passer. Elle décida donc daller sur le quai de métro, un endroit peut être plus au chaud. Anna descendit les marches qui débouchèrent sur le petit tunnel du train souterrain. Contrairement à ce qu'elle pensait, il ne faisait pas plus chaud. La jeune fille resta alors plantée là, comme si elle était mise sur "pause". Seul son souffle en forme de panache sortant de sa fine bouche prouver qu'elle était encore là.
Le froid paralysait de plus en plus la petite Anna, qui comptait le nombre de passages du métro. Elle aperçut alors une femme passer les escaliers et se poster sur le bord du quai, attendant le prochain métro. Celle-ci ne parut pas remarquer la blondinette qui continuait à fixer les rails.
Après deux petites minutes, la jeune femme tourna la tête vers Anna, la dévisageant presque. Le métro s'arrêta et repartit aussitôt alors que la grande brune adressa la parole à Anna.
L'adolescente regarda le métro partir, se disant que cette femme venait de le rater juste pour se préoccuper d'elle. Anna lui fit un bref sourire et articula un timide « Oui » presque inaudible par sa voix si peu utilisée ses derniers jours.
Elle baissa les yeux et reprit la parole, chuchotant presque:
« ▬Je suis seule et je l'ai toujours été. »
Elle eut un frisson et se sentit pâlir. La jeune fille déplia lentement ses doigts nus et glacés et réprima un « aïe » qui aurait été ridiculement placé.

S'attendre d'un instant à l'autre à voir surgir quelqu'un qui appellerait la jeune fille ou même lui crierait dessus pour sa disparition soudaine. Il était anormal qu'elle soit seule, anormal que personne ne soit là pour lui dire de s'abriter et lui intimer de se dépêcher dans l'espoir de rejoindre au plus vite le domicile familial. Bien sûr, il n'était jamais à exclure que la jeune demoiselle n'est personne avec qui se promener par ce temps et puis, plus sérieusement encore, la mort prenait n'importe quand. Si la jeune fille était décédée dans la fleur de l'âge, elle pouvait très bien être seule dans ce nouvel univers qui s'ouvrait à chaque mort. Cette hypothèse donna un frisson à Helen en plus du froid. Cela voulait dire que l'enfant était seule. Enfant oui, elle la voyait ainsi, pourtant quoi ? La jeune devait bien avoir une quinzaine d'années... Elle avait sans doute laissé de la famille derrière elle, des proches qui lui manquait comme elle leur manquait. On parlait d'une deuxième chance par ici. Une nouvelle vie. Cela pouvait être tout à fait exact pour peu que l'on sache comment se diriger et quoi faire de sa … mort, mais pour une jeune fille, que faire ? Quelle route suivre ? Y avait-il seulement un lieu vers lequel on pouvait les diriger ? Les enfants n'étaient tout de même pas livrés à eux-mêmes ? Voilà une question intéressante à poser. A qui la poser ? Un faucheur ? Ils étaient les plus à mêmes de savoir cela. A l'occasion, elle poserait la question à Riley. Son confident pourrait sans doute la renseigner, il connaissait tout sur le bout des doigts et Skyline n'avait plus grand secret pour lui, du moins c'était ce que pensait Helen.

Alors qu'elle se dirigeait vers la jeune fille, que son regard s'attarda sur les traits doux de son visage innocent et cependant rompu à une vie bien plus complexe que celle de n'importe quel autre jeune de son âge, Helen posa sa question. Elle était maintenant en face de la demoiselle et bien que soufflée, sa réponse parvint jusqu'à ses oreilles. Elle était donc seule … Soudain, sans même connaître l'histoire de l'enfant, la jeune femme se surprit à faire là une comparaison entre elle et la jeune. Bien sûr, pour ce qui était de la mort, rien de comparable mais pour ce qui était de la solitude … elle connaissait. Elle avait passé une grande majorité de sa vie dans un lieu qui s'intéressait peu à ce qu'elle pouvait souhaiter devenir et même ce qu'elle faisait. Pour seul ami et seule famille à l'époque, il y avait eu Caleb … Caleb qui avait été là lorsqu'elle en avait eu besoin dans sa jeunesse, jusqu'à ce qu'ils se séparent, jusqu'à ce qu'ils se revoient bien des années plus tard, jusqu'à ce qu'elle meure quelques heures plus tard, jusqu'à ce que deux ans plus tard il la retrouva sur le territoire du Skyline, jusqu'à ce qu'il disparu définitivement, décédant à la suite de la fusillade au centre commercial. Là aurait pu naître un point final, seulement Helen acceptait tout juste ce départ définitif. Si elle avait su ! Su que quelques mois après elle le retrouverait bien présent au Skyline et toujours parmi les morts des lieux … enfin, dans ce présent-ci, il n'était pas question de cela. Juste d'une jeune fille qui était à l'instant même perdue, seule dans le Skyline ! Un univers qu'elle semblait tout juste découvrir.

La demoiselle précisa les choses. Helen comprit. La jeune fille avait un passé assez similaire au sien. Pour être seule depuis toujours, elle ne pouvait qu'être orpheline. La brune ne prit pas pitié, elle compatissait et la comprenait.

HELEN ▬ Comment t'appelles-tu ?

Elle grimaça, les mains qui se dépliaient devant elle avaient perdu de leur couleur. La jeune fille devait avoir froid. Helen n'avait pas de gants, pas vraiment de quoi la protéger convenablement. Elle défie le nœud qui nouait sa chaude écharpe et la tendit sans un mot à la demoiselle, un sourire engageant aux lèvres et les yeux pointant les mains gelés de la jeune fille.

HELEN ▬ Je m'appelle Helen. Tu as froid? Tu as mangé ?

Anna avait le regard dans le vide. Ses yeux se posèrent enfin sur la femme brune en face d'elle, lorsque celle-ci lui posa à nouveau une question. La jeune fille crut voir de la compassion dans son regard. Elle aurait certainement coupé court à la conversation si son interlocutrice la prenait en pitié mais non. Ce ne fut pas le cas. La blondinette se racla brièvement la gorge.
« ▬ Anna. Je m'appelle Anna Loreley Bird, euh...? »
La femme qui lui faisait face dénoua alors son écharpe et lui tendit avec un grand sourire assez rassurant. Elle jeta un coup d'œil au mains glacées d'Anna. La jeune hésita un petit moment et finit par la saisir. Elle mit ses mains dans la laine encore chaude, les voyant passer au rose. Quel bonheur ! Anna inclina légèrement la tête et glissa un « Merci ».
Lorsque la brune reprit la parole, elle parut réellement s'inquiéter, et selon l'avis d'Anna, ce ne fut pas par simple politesse. Celle-ci avait froid comme pas possible. Elle se sentait devenir un véritable glaçon. Bien qu'elle portait un manteau et qu'elle possédait l'écharpe de la jeune femme, elle n'allait pas tenir encore longtemps comme ça. Ce qui est question de manger, Anna s'était contentée du minimum, ne mangeant que de petites portions par habitude, elle n'avait pas plus faim que ça.
« ▬ Enchantée, Helen, répondit la jeune fille d'un ton solennelle. Je vous avoue que j'ai très froid, il n'est pas convenable de sortir par un temps pareil mais je n'ai nulle part où aller. Sinon, je n'ai pas spécialement faim. »
Anna s'arrêta un petit moment, laissant un court instant de silence donnant à ses dernières paroles l'impression d'être suspendues dans les airs. Ne donnant pas assez de temps à Helen de répondre, elle continua de parler ce qui lui faisait un petit peu oublier le froid mordant.
« ▬ Je vous conseil de rentrer chez vous, madame. A moins que vous ayez réellement envie de rester là dehors... Enfin, je ne me permettrais pas de vous juger ni même de me mêler de vos affaires. »
La jeune fille se tut aussi net que tout à l'heure. Elle se sentit inutile et eut l'impression de parler pour rien dire. Ce qui fut le cas.
Son regard replongea dans le vide, une sorte de honte s'installa en elle. Bien au chaud, enveloppant son petit cœur fragile et monopolisant sa langue pour l'obliger à se taire. L'idiotie. N'est-ce pas l'autre qui occupe le ventricule droit du cœur de Anna ? Certainement. Elle se sentit idiote et honteuse.
Elle serra un peu plus ses mains dans l'écharpe de Helen et hésita même à lui rendre. Elle doit me prendre pour une folle... c'est évident ! se dit-elle aussitôt.
Se sentir aussi mal pour une phrase idiote est une chose, mais au point de devenir paranoïaque comme ça ! Anna eut envie de courir, courir loin. Sans but précis, non, juste courir pour échapper à tout. Pour échapper à la vie car elle n'aimait pas la vie. Elle ne l'a jamais vraiment aimé en fin de compte.

Pourquoi se préoccuper d'une personne qu'elle ne connaissait pas ? Pourquoi s'enquérir de son bien-être ? Parce que son histoire bien que peu en sa connaissance la touchait et parce qu'elle ne pouvait décemment pas partir en sachant qu'une jeune personne ou qu'une personne tout court était en détresse et qu'elle était passée à coté sans même y prêter plus d'attention que cela. C'était tout bonnement au dessus de ses capacités et de toute manière, elle savait qu'elle se sentirait trop coupable après cela pour vivre normalement. La jeune femme se demanderait alors bien souvent ce qu'avait pu devenir la jeune fille et où elle pourrait se trouver à l'instant où elle y songerait. Elle penserait que si quoique ce soit lui arrivait, elle aurait sa part de responsabilité et elle n'aurait pas si tord que cela. L'inaction de certains amenait parfois tant de malheur ! Si elle pouvait l'éviter.

Helen regarda la jeune fille se couvrir les mains de son écharpe, enregistrant du même coup le prénom donné. La demoiselle avait décliné son identité la seconde d'avant, répondant à la question de la jeune femme. Un sourire illumina son visage en voyant les mains de la jeune Anna retrouver un peu de leur couleur et en l'entendant la remercier. Elle était simplement contente de pouvoir l'aider et de se rendre utile. Contente de voir que cela ne desservait pas Anna.
La jeune fille semblait totalement perdue et Helen ne pouvait décidément pas la laisser ainsi. Il était de notoriété public qu'elle n'abandonnerait jamais une enfant dans un tel moment et surtout pas en cette saison. Elle était seule, elle était sans personne. Plus pour longtemps. La jeune femme s'empressa de lui offrir de boire quelque chose de chaud non loin, par chez elle, si Anna le souhaitait. Elle ne voulait pas non plus la forcer à aller avec une inconnue. Mais son aide, sa proposition semblait la bienvenue et Helen s'étonna un peu d'avoir eu gain de cause si facilement, la jeune fille était peut-être un peu naïve ou alors bien trop seule depuis trop longtemps. Elle souhaitait y remédier, il fallait lui trouver un endroit où loger et en attendant qu'elle ne trouve le lieu idéal ou que la jeune fille parte voler de ses propres ailes, elle pourrait avoir une chambre attitrée dans sa maison sur Cloud Street. Touchée par la jeune fille et par sa situation, elle l'invita à la suivre et elle gagnèrent l'endroit chaud. Au moins, les choses pourraient s'arranger pour Anna, elle avait un foyer.

Terminé et verrouillé.