... Rhum ... Vodka ... Cocaïne ...

Encore une nuit de perdition. Il était seul, ce coup-ci. Ce n'était pas un soir de concert. Il se sentait vraiment tout seul. Ce bon vieux Sky était toujours dans le coma, et les chances de le voir se réveiller un jour s'amenuisaient un peu plus chaque jour. Quoi qu'il en soit, Leo s'efforçait de faire en sorte que sa part des recettes du groupe lui parviennent bel et bien, pour payer son hospitalisation et préparer l'avenir. Parce qu'il se réveillerait, et alors, tous les deux, ils garderaient le groupe en vie. Ils remplaceraient Dirty, trouveraient bien un moyen pour convaincre The Rat de laisser sa place en échange d'une part sur les rentrées. L'argent détruisait si facilement. Presque tout ce qu'on pouvait avoir avec de l'argent participait à nous détruire.
Il fallait être fou pour mener sa vie, se ruiner comme ça. En même temps, il n'avait pas grand chose d'autre à faire. Il avait envie de s'arrêter, de plonger dans ces rêves où il faisait ce qu'il voulait. Il prit une inspiration, se calma, et ferma les yeux.
Il fallait être complètement fou pour ...

... rêver d'un bar quand on s'était déjà défoncé seul avant de s'endormir. L'Anglais expira, ouvrit les yeux, et détailla avec un sourire amusé l'enseigne du bar. The Devil's Tail ; son esprit pouvait des fois être clairement rock'n'roll jusqu’au-boutiste et faire des allusions franchement étroites d'esprit. Se demandant bien d'où pouvait sortir cette création saugrenue, il inspecta les alentours. Des gens étaient dehors, des verres en plastique en mains, parfois vides ou à moitié vides, tirant sur leurs cigarettes comme de beaux diables. Il faisait frais. Ses rêves ayant tendance à suivre les saisons, Leo avait gardé un coupe-vent sur lui. Il avait ses clopes, son feu, un peigne, des papiers ... Il avait tout pris ce coup-ci. C'était tout de même un peu moins freestyle s'il préparait l'essentiel avant de s'endormir. C'était tout de même bizarre ...
Il n'allait pas rester là à observer indéfiniment la scène. Il pouvait s'y lancer, réagir, aller où il le voulait sans jamais rencontrer d'étrangeté. Il avait forcément débloqué pour avoir des rêves aussi clairs. Quoi qu'il en soit, ça lui permettait de passer de bonnes nuits à défaut de passer de bonnes journées. Avec une pensée furtive pour celle qui lui manquait, il regarda la rue alentour. Rien n'avait l'air beaucoup plus attirant que ce petit tripot refait à neuf récemment. Alors qu'est-ce qu'il attendait ? Il y avait de la jolie gonzesse en terrasse, et il irait bien faire un tour à l'intérieur pour se prendre un Jack en inspectant la marchandise intérieure. A l'intérieur, il avait des chances d'en trouver qui ne sentaient pas la clope. Leo n'était pas un gros fumeur en fait, et il se trimbalait toujours avec des chewing-gums pour l'haleine. Il n'aimait pas une haleine au goût de cigarette. Mais tant qu'à faire, il ne disait jamais non aux extra. La plupart du temps, il expliquait qu'il ne voulait pas embrasser la première fois ; ça suffisait. Les filles étaient parfois émues par cette fragilité, et parfois refroidies ; mais pas pour longtemps.
Ainsi s'avança-t-il vers la porte. Mais, au moment d'arriver, la porte s'ouvrit, et une espèce de hipster déboucha sur le trottoir. Trébuchant probablement sur le cadre de la porte au sol, il butta dans l'épaule de Leo et s'y accrocha. Le rockeur l'observa avec mépris tout d'abord, mais regarda autour de lui. On les observait. S'il voulait l'engueuler, ça ne serait pas avec son langage habituel, aussi le redressa-t-il d'un geste ferme avant de lui taper le front du plat de la main, comme à un débile.

« Oh ! Tu pourrais faire gaffe où tu vas l'épave ! »

C'était drôle. Lui même mériterait sûrement ce sobriquet à la fin de son rêve, mais c'était un pur bonheur de le lancer aux autres comme si on était exemplaire. Un bon point gagné auprès de la gente féminine alentour. Malgré sa première remarque assez dure, il soupira quand même et s'enquit de vérifier si le gars en face de lui allait bien.

« Ça va, tu vas pouvoir au moins rentrer chez toi ? »

Pourquoi s'inquiétait-il pour un rêve ? Sans doute par humanité. Redécouvrir sa partie la plus pure l'émouvait toujours. Il allait devoir se descendre une bouteille ou deux pour oublier et retrouver sa petite carapace.

22 heures.
Voila ce qu'affichait le réveil de la chambre d'une certaine Hortense Bradford. Elle dormait paisiblement dans son lit, bien enfuie sous sa couverture en plume d'oie. Elle était jeune, environ 25 ans pourtant cette nuit elle allait se retrouver face à un problème cardiaque. Elle avait les cheveux bruns et bouclés. Ils encadraient son visage de poupée. Une très jolie femme.

Aloïs se tenait là, assit dans le petit fauteuil d'à côté, les mains sur les genoux tout en gardant un calme plus que déconcertant. Il fixait un point invisible dans le vide, en oubliant presque ce qu'il venait faire ici. Il ne connaissait pas cette fille, il ignorait tout de ses aspirations et de ses rêves et il était sur le point de la briser et de l'arracher à son corps et à cette vie. Heureusement, il était invisible aux yeux de quiconque, omis le chat blanc qui l'observait d'un mauvais oeil, mais il ne tenait pas rigueur de ce détail. Il avait apprit que les animaux avaient un sixième sens au fil des siècles à faire des aller retour entre la Skyline et le monde réel qui avait bien trop changé à son goût. Il bannissait toute cette évolution, cette technologie qui faisait courir le monde droit à sa perte.

C'était l'instant fatidique. Le faucheur se leva pour se rapprocher de la jeune femme aux cheveux bruns. Il posa une main sur sa poitrine comme s'il provoquait sa mort, faisant cesser son cœur de battre tandis que le chat lui soufflait dessus, faisant le gros dos tout en était sur le point de lui bondir dessus, de bondir dans le vide. Aloïs recula ensuite d'un pas, attendent de voir Hortense revenir à elle -mais pas à la vie-. Il lui tandis une main en silence, acquiesçant en devinant la question qu'elle allait poser. Oui elle était bien morte. Il lui tandis sa main en silence, dans un regard certes glacial, mais qui se voulait rassurant pour qu'elle le suive jusqu'à la Skyline.

♣

La jeune femme qu'il venait de "faucher" retrouva rapidement l'un de ses proches, la mission d'Aloïs s’arrêtait là ce soir. Il prit donc direction du Devil's Tail pour prendre place au comptoirs, claquant des doigt pour avoir sa vodka qu'il avala cul-sec. Il entendit vaguement du bruit dans son dos, mais n'y prêta pas attention, à vrai dire dans ses pensées comme toujours, puis il avait tendance à éviter le monde. D'ailleurs il y avait de l'action, un habitué de la beuverie tomba sur le sol devant le bar. Le faucheur leva les yeux au ciel, agacé, du moins jusqu'à ce qu'il entende une voix masculine lui parler, comme s'il souhaitait attirer les femmes. Aloïs se leva, quittant son tabouret pour arriver derrière l'homme sans même qu'il n'ai put le remarquer.

" Laissez ce cr*tin est un ivrogne, ça l'a déjà tué une fois et il risquerait fort de se réincarner en bouteille d'alcool s'il continue. " fit-il sèchement à l'intention du nouveau venu qui semblait légèrement paumé. Une nouvelle recrue visiblement, quoi qu'il avait quelque chose de bizarre.

" Nouveau venu à ce que je vois " Il fit volte-face en direction du comptoir " Je t'offres un verre visiblement ton faucheur ne t'as pas expliqué grand chose vu ta tête "

Sur ce, il reprit place tout en désignant le tabouret d'à côté, faisant signe de remettre deux vodka.

... Rhum ... Vodka ... Cocaïne ...

Un véhicule passe avec la musique à fond à l'extérieur. A peine une vibration pour Leonard Elliot. Il se laisse bercer et s'endort plus profondément encore.

A peine avait-il choisi de venir en aide au poivrot qui l'avait renversé, qu'un autre type venait à lui ; celui-là pour le convaincre de laisser tomber. Ce gars serait un cas désespéré, perdu pour la société, complètement fichu et irrécupérable. Ni d'une ni de deux, Leo bomba son petit torse et ne se laissa pas démonter. Le type naïf qui avait sombré en lui voulait venir en aide à la Terre entière. Il montra sa conviction en soutenant un peu plus le poivrot et en l'asseyant sur un banc, à l'écart. Lorsqu'il s'adressa à Aloïs, il parla assez fort pour qu'on l'entende autour d'eux.

« Ou peut-être qu'il va très mal et que l'image que lui renvoient les gens n'arrange pas son cas. »

Un point pour le petit con. Quelques-uns semblèrent remarquer l'instant de rivalité et se tournèrent vers l'un et l'autre. Certains montrèrent de la sympathie pour Leo, d'autres de la connivence envers Aloïs. Les deux camps étaient plutôt égaux. C'était la lutte éternelle : peut-on toujours sauver quelqu'un ou y a-t-il un point de non retour ? S'il y en avait un, Leo l'avait déjà franchi, mais il croyait que le seul qui puisse exister était la mort.

En parlant de mort, le gars avait des paroles bien étranges. Leo crut d'abord que par nouveau venu, le gars entendait nouveau dans le bar. En fait, apparemment, non. Il se mit à parler de faucheur. Leo puisa dans sa culture bien britannique et revit la scène de la mort du Sens de la Vie, ce film satyrique des Monty Python. Il revit ce squelette en habits noirs, s'annonçant devant un public riant aux éclats, persuadé qu'il était d'être invincible en cette belle soirée ; alors même que tous étaient déjà morts. A cette image succéda rapidement la scène des spectacles du Paradis, ou tous les jours c'est Noël, mais il fallut redescendre sur Terre assez vite ; enfin, façon de parler. Leo était amusé. Visiblement, ce type était bien allumé lui aussi. Mais une vodka ne se refuse jamais, alors ...

Il prit place à côté du type qui venait de lui payer un verre, et l'observa tandis qu'il prenait son verre et le descendait d'une traite. Il ne faisait plus autrement. Il avait tellement abusé de l'alcool que l'alcool ne semblait plus vouloir le tuer. Et puis, n'était-il pas dans un rêve ? Un rêve bizarre, certes, mais un rêve tout de même, avec des règles un peu chiantes et trop réalistes, mais sans conséquences. La chaleur du liquide le prit aux tripes. Il avait l'habitude d'être déjà un peu allumé en soirée, la gorge souvent anesthésiée par un joint. Il encaissa la vodka avec moins d'aisance que d'habitude mais ne broncha pas. Il se sentit juste vaguement étourdi quelques secondes, et laissa remonter quelques gazs assez discrètement. Il allait déjà mieux.

« Et ta tête, M. l'intégré ? Tu parles de faucheur, genre ... On est tous morts et on est au Paradis ? T'es drôle, va. Pour autant qu'je sache, je suis paumé dans la chambre de quelqu'un à Londres, déchiré et endormi comme une loque je ne sais trop où, et toi, là, tu n'es que le fruit de mon imagination. Mais j't'en prie, continue, je m'étonne moi-même ces temps-ci. »

Il ne prêta pas vraiment attention à ce type, jusqu'à-ce qu'il montre qu'il avait du répondant. Visiblement un sacré numéro. Il lui tourna le dos, ne cherchant même pas à l'enfoncer plus, il s'en contre foutait à vrai dire. Contrairement à lui, il était bien loin de se soucier de la gente féminine et les habitués savaient pertinemment qu'il se fichait de tout aussi.

" Soit si tu penses le connaître alors que visiblement tu viens d'arriver, à toi d'en juger. "

Il ne le regarda même plus, s'occupant de sa vodka. Il lui en fallait beaucoup pour sombrer dans le coma éthylique ou pour tout simplement être saoul. Après tut à l'époque qui l'avait vu naître, les eaux n'étaient pas sûres et l'unique boisson potable était l'alcool. D'où le fait qu'il était capable d'en avaler des litres sans le moindre petit effet secondaire. L’individu vint tout de même prendre place et vu la tête qu'il affichait, il devait être complètement paumé puisqu'il devait le prendre pour un illuminé. Or il ne sentait même pas l'alcool et possédait parfaitement bien toute sa tête -ou presque si on en retire ce léger déblocage il y a quelques bonnes centaines d'années- . D'ailleurs il sortit de sa tête une certaine image en plein centre de Londres de l'époque, rongé par la faiblesse et la rage. Il avala une autre gorgée de sa vodka en silence, essayant de se consoler avec la seule idée qu'Elsy était ici, même si ça ne lui plaisait honnêtement pas. Il soupira longuement tandis que le drôle d'énergumène le traitait limite de cinglé. Il finit par reposer son verre en silence, restant d'une neutralité déconcertante et plus qu'habituelle.

" Ignorerais-tu où tu te trouves? "

Un silence de plomb se fit sentir dans la salle, à croire que tous les êtres ici présent l'avaient entendu parler et voulait respecter cet instant. Oui parler de la mort elle-même restait toujours délicat et il fallait aborder le sujet avec tact. Il attendit donc sa réponse dans ce silence de plomb, barman, serveurs et clients se scrutant en silence, détournant presque le regard comme s'il ne voulaient pas entendre.

TOPIC VERROUILLÉ, DÉPART DU MEMBRE

SUJET TERMINÉ & ARCHIVÉ